Jack Welch vient de nous quitter le dimanche 1 mars 2020 à 84 ans. Il a rayonné à la tête de General Electric (GE) de 1984 à 2001 (il quittera ses fonctions à la veille du 11 septembre 2001). Considéré aux Etats-Unis comme une figure du patronat et de l’ascension américaine (le fameux rêve américain),
Jack Welch, lorsqu’il était à la manoeuvre, a fait passer le groupe d’une activité de 12 milliards de dollars à sa prise de poste à 410 milliards au moment de son départ. Le magazine Fortune le désigna même en 1999 « manager du siècle », c’est dire.
Dans les articles qui ont fleuris depuis sa disparition particulièrement en France, sa postérité est quelque peu écornée par une réputation de « tueur » et aussi du fait que Jeffrey Immelt, son successeur désigné a été depuis remercié parce qu’il n’a pas réussi à sauver GE face aux subprimes, au 11 septembre et à la crise de 2008.
Jeffrey est connu en France, car il a négocié avec Arnaud Montebourg (le redressement productif!) le rachat en 2015 de l’ensemble des activités énergie d’Alstom : les turbines, l’hydraulique, l’éolien et les réseaux. Les promesses de développement de cette activité n’ont pas été tenues , compte tenu des évolutions des marchés et d’erreurs stratégiques de GE.
Humilation suprême , l’entreprise a même dû être sortie après 110 ans de présence au sein du Dow Jones, l’indice de Wall Street (un vrai déchirement) . Son avenir à date est trés incertain avec une activité retombée à 122 Mds de dollars en 2017 puis à 78 Mds de dollars en 2019, le tout avec moins de 97 000 employés et d’importantes pertes.
Qu’en est-il vraiment et essayons ensemble de décrypter ce qu’il reste des leçons stratégiques de son prédécesseur ?
Appuyons nous sur les écrits du maître pour nous faire une image plus précise et plus équilibrée de ce Grand Gourou, détesté ou admiré selon les cas et soutien inconditionnel de Trump et des Républicains.
Au préalable, il faut absolument que vous vous replaciez psychologiquement dans l’époque où les conglomérats étaient roi (les fameuses multinationales américaines !) et où la bonne gouvernance d’une entreprise se devait d’être pyramidale avec directives et instructions venant du haut de la pyramide.
Situons d’abord le chef derrière ses fourneaux, laissons Jack Welch lui même vous expliquer la vie de patron, écoutons le :
« Selon lui, un patron doit savoir « barboter » pour attaquer un problème ardu : l’attaquer en collectif sous tous les angles, faire cracher à tout le monde ce qu’il en pense (noter le verbe cracher !!), et surtout s’interdire de parvenir à une conclusion immédiate », voilà son caractère bien trempé apparaît ici , il ne mâchera pas ses mots tout au long de sa vie , avec parfois une franchise désarmante.
Entré dans l’entreprise en 1960, Jack Welch en a gravit les différents échelons. Issu d’un milieu familial modeste (son père conduisait des Trains), son doctorat obtenu en 1960 à la force du poignet, il entre chez GE comme ingénieur chimiste dans la division plastiques.
A force de travail acharné, il deviendra vice-président du conseil d’administration en 1979, puis est nommé à l’âge de 45 ans en avril 1981 au poste de PDG de General Electric, héritière de l’entreprise créée en 1892 par Thomas Edison lui-même.
Il n’était d’ailleurs en 1981 que le huitième PDG en 89 ans, de quoi faire rêver quelques uns ou unes de nos Pdgs du CAC40 i.
Découvrons quelques facettes du bonhomme : les propos écrits pour l’édition française de son livre « Ma vie de patron » (village Mondial décembre 2001) traduisent bien sa personnalité, assez atypique dans le contexte de l’époque.
« Qu’il le veuille ou non un patron sert de modèle ». « Lorsque l’on tient à faire passer une idée, il ne faut jamais avoir peur d’en faire trop, faute de quoi, il ne se passe rien « .
Pour mémoire, Jack Welch avait trouvé à son arrivée à sa tête, une entreprise qui au regard des critères de l’époque était jugée performante mais qu’il a vu lui composée d’entités très morcelées avec plusieurs métiers sans y être toujours le numéro 1 ou 2.
Les 5 premières années de son régne, il avait diminué fortement les effectifs de General Electric pour la repositionner comme leader sur chacun de ses marchés en se débarassant des autres où ce n’était pas le cas (de 411.000 à 299.000 personnes employés par le Groupe) et a hérité à cette occasion du surnom de « Neutron jack »
A cette époque , la stratégie de conglomérats multi-métiers était très en vogue chez les financiers. Son successeur Jeffrey Immelt en a pâtit dans la suite de la vie de GE , lorsque ce modèle n’avait plus la côte.
1- Son idée fixe en terme de stratégie :
« Mettre chaque métier en position de leader »
(les schémas sur ce point sont dessinés à même les nappes de restaurant par le maître dans ses écrits !!).
2- Les ingrédients de sa recette stratégique ?
Identifier les industries actuellement à forte croissance ou en devenir et y participer : toujours se poser la question de « jusqu’où et à quelle vitesse en promouvoir le développement ?
Sur les activités actuelles, suivre le conseil de Peter Drucker « si nous n’étions pas déjà dans le métier, y enterions-nous aujourd’hui ? et si la réponse est non, que faisons nous pour résoudre ce problème ?
Ces 20 ans à la direction sont émaillés d’acquisitions et de désengagements réguliers, y compris sur des activités rentables mais trop éloignées du cœur d’activités.
3- La réussite en affaire ?
La réussite en affaire est moins fonction de l’exactitude des prévisions que le résultat d’une aptitude à réagir rapidement aux vrais changements, à mesure qu’ils surviennent. Il faut bien comprendre la différence entre une initiative de fond et une amélioration ponctuelle…
Ce point était assez précurseur et remettait en cause les logiques pyramidales ou de planifications stratégiques rigides existantes à son époque. Il ouvrait la voie aux itérations de mise au point et aux innovations régulières au délà de la seule Roue de Deming (PLAN,DO,CHECK,ACTION).
4- Stratégie versus plan d’action ?
La Stratégie n’est pas un long plan d’action mais l’évolution d’une idée centrale au contact de circonstances changeantes continuellement. La stratégie ne saurait se réduire à une formule. (point oublié par ses successeurs).
Il est beaucoup plus important d’avoir la bonne personne au bon endroit que de développer une stratégie. Indépendamment de l’analyse de marché, il faut absolument selon lui développer dans tous les cas une culture unique et forte dans l’entreprise.
5- La concurrence ?
Il ne faut jamais sous-estimer l’équipe adverse.
6- Apprendre à regarder la réalité en face :
« Voir le monde tel qu’il est et pas tel qu’ils (les collaborateurs) voudraient qu’il soit ou espèrent qu’il sera demain »
A noter que sur ce point, les approches en vogue qui demandent à se définir au préalable une vision pour changer le monde (le Mantra ») et ensuite seulement concrétiser la réalité via une première réalisation (le « MVP », Minimum Viable Product) pour faire advenir ce que pourrait ou devrait être mériteraient de méditer cette phrase pour s’interroger si le futur n’émerge pas plus au fur et à mesure des actions réalisées sur le terrain à partir d’une première idée.
7- Cultiver inlassablement la qualité :
« Toutes les personnes font l’impossible pour être fiers de tous les produits ou services que l’entreprise propose au marché »
Mr Welch vivait dans une époque très centrée sur le « tout qualité » des acteurs leaders du marché pour se différencier. Les approches de type « océan bleu » ont aussi montré que porter tous les facteurs au plus haut grade de qualité n’était pas toujours un optimum stratégique.
L’approche par les usages notamment ceux qui sont latents en se mettant à la place des utilisateurs pour ensuite caler le « service » au plus juste (en apportant le juste niveau de qualité) a fortement fait évoluer les pratiques par rapport à ce point.
8- Cultiver l’élément humain :
« Créer une atmosphère telle que les gens auront l’audace d’essayer des approches nouvelles –en étant assurés que les seules limites à leur créativité et à leur dynamisme seront la vitesse à laquelle ils agiront et jusqu’où ils iront»
Ce point quant à lui reste clé et les acteurs de l’entreprise cherchent à pérenniser cet esprit via des approches autour de l’ Intrapreneuriat
9- Pour réussir ce pari, que doit faire un « patron » au sein de son entreprise ?
Le boulot d’un patron c’est de gérer les ressources : les hommes et les dollars. Il doit s’appuyer sur 4 critères : l’énergie, l’aptitude à transmettre, le sens de la décision, l’exécution.
Il se doit de suivre les « initiatives majeures » lancées dans l’entreprise (client, qualité, nouveaux projets, Recrutement, formation,…), où pour Welch, il doit « mouiller sa chemise «
Trouver la manière de développer une agilité forte des collaborateurs (pour ceux qui suivent le rythme…).
Tout un chapitre de son livre est d’ailleurs consacré à ce que Welch appelle la « fausse gentillesse », consistant à conserver ceux qui ne sont pas à leur place (estimés selon lui à 10%), car pour lui au final, ils pénalisent l’ensemble des autres collaborateurs et mettent en danger le futur de l’entreprise……..
A noter que Jack Welch a vécu lui même deux infarctus en tant que PDG (à méditer).
Amateur de golf, père de quatre enfants de son premier mariage, il s’était marié pour la troisième fois avec Suzy en 2004, journaliste éditrice à la fameuse Harvard Business Review. Inconstestablement lucide sur sa propre personnalité et certains travers de la vie des affaires, ne déclarait-il pas : « il n’y a qu’un cheveu entre la confiance en soi et l’orgueil ».
Jack Welch restera comme un icône d’un certain patronat américain, il aura nourri la réflexion sur le management et la stratégie d’entreprise et ses successeurs n’ont pas toujours retenus certaines de ses leçons et ont oublié son activisme incessant pour challenger en permanance les activités de son entreprise et les managers du groupe : Bref , ne pas oublier que la stratégie est une conversation structurée avec quelques règles à respecter mais régulière pour travailler au fur et à mesure sur ses propositions de valeur, les signaux faibles par activité et pour permettre à l’ensemble de l’entreprise d’aller de l’avant avec lucidité…..
NB : j’ai essayé de retracer le plus fidèlement les propos de Mr Welch : les citations ou extraits cités dans cet article sont issus du livre « ma vie de Patron » édition Village Mondial (Pearson Education). Je ne peux que vivement vous en recommander la lecture, même s’il n’est plus réédité sous sa forme d’origine. Certains éléments sont également issus du discours prononcé en 2001 par Jack Welch lorsqu’il quitta GE après 20 ans à sa tête : « Réussir une croissance rapide dans une économie à croissante lente » ? Certains regroupements ont été faits dans les formulations pour en simplifier la lecture ou certains mots de liaison ont pu être ajoutés.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.